Par Edwige BIESSOU
Doctorante en droit public à l’URCA – CRDT
L’arrêt rendu le 11 décembre 2020 par la Cour Internationale de Justice (CIJ)[1] a relancé le débat sur les conditions d’acquisition du statut de « locaux de la mission ». L’on ne pouvait vraisemblablement pas qualifier tous les biens du personnel diplomatique de « locaux de la mission » en raison du régime très protecteur dont bénéficie ce statut[2]. L’article 1er alinéa i) de la Convention de Vienne de 1961 a alors restreint la domanialité diplomatique[3] aux « bâtiments ou (…) parties de bâtiments et (…) terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission »[4]. L’affectation réelle du bien aux fins de la mission apparaissait ainsi comme l’unique critère d’identification des locaux de la mission diplomatique. Il suffisait dès lors à l’État accréditant d’affecter un immeuble au service de sa mission diplomatique pour que celui-ci acquiert le statut « diplomatique » après notification de ce fait à l’État accréditaire.
Cette solution semblait en tout point satisfaisante avant que ne se pose devant la CIJ la question du consentement de l’État accréditaire à l’octroi du statut de « locaux de la mission ». Autrement dit, un État accréditaire peut-il objecter « à la désignation par l’État accréditant d’un certain bien comme faisant partie des locaux de sa mission diplomatique »[5] ? Ni les travaux préparatoires, ni les dispositions de la Convention de Vienne ne donnent d’indications claires à ce sujet. Si l’alinéa i) de l’article premier de la Convention identifie les biens relevant des « locaux de la mission », il n’apporte aucune précision sur les circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut de « locaux de la mission », encore moins sur les rôles respectifs des États accréditants et accréditaires en la matière.
Le consentement mutuel étant toutefois le socle des relations diplomatiques, la CIJ a érigé l’approbation de l’État accréditaire en condition d’acquisition du « statut diplomatique » (I). Dorénavant, un bien n’acquiert le statut diplomatique qu’à une double condition : l’absence d’objection de la part de l’État accréditaire et l’affectation effective du bien à l’usage diplomatique. L’argumentation de la Cour laisse cependant planer un doute quant au caractère cumulatif de ces deux conditions, et partant à l’opportunité du premier critère (II).
I. Le consentement de l’État accréditaire, une nouvelle condition d’acquisition du « statut diplomatique »
Nonobstant les opinions dissidentes de certains juges[6], la Cour a reconnu qu’un immeuble ne pourrait acquérir le statut de « locaux de la mission » en dépit de l’objection expresse de l’État accréditaire. L’établissement des relations et l’envoi des missions diplomatiques se faisant par consentement mutuel[7], l’État accréditaire devrait également consentir à la désignation des locaux desdites missions. Cela ressort implicitement des dispositions de la Convention de Vienne. En effet, si la prérogative de désignation unilatérale d’un immeuble diplomatique est reconnue à l’État accréditant, l’État accréditaire serait confronté au choix cornélien d’accorder la protection à un bien contre sa volonté ou de rompre ses relations diplomatiques avec l’État accréditant. Ce qui serait contraire à l’objet de la Convention consistant à « favoriser les relations d’amitié entre les pays »[8]. L’imposition unilatérale exposerait par ailleurs « l’État accréditaire à des abus potentiels des privilèges et immunités diplomatiques ». Or, les rédacteurs de la convention de Vienne entendaient éviter ces travers, en spécifiant, dans le préambule, que « le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des États ».
La pratique vient en outre étayer les conclusions de la Cour. Un certain nombre d’États accréditaires exigent clairement l’obtention de leur accord préalable avant que l’État accréditant ne puisse acquérir et utiliser des locaux à des fins diplomatiques. Le manuel de protocole du ministère fédéral des affaires étrangères de l’Allemagne indique par exemple que « [l]’utilisation à des fins officielles des immeubles (terrains, bâtiments et corps de bâtiment) des missions diplomatiques et postes consulaires de carrière n’est possible qu’après accord préalable du ministère fédéral des affaires étrangères »[9]. Dans la même veine, la section 12 du Diplomatic Immunities and Privileges Act de l’Afrique du Sud impose aux missions étrangères de soumettre le moindre déménagement à l’avis du directeur général des relations et de la coopération internationale. Au Brésil, « le Manual of Rules and Procedures on Privileges and Immunities de 2010 subordonne l’établissement du siège d’une mission diplomatique, ainsi que l’acquisition ou la location de biens immobiliers à cet effet, à l’obtention de l’autorisation préalable du ministère des affaires étrangères »[10].
Selon les juges, tous ces éléments militent en faveur de la reconnaissance à l’État accréditaire d’un droit d’objection à la désignation d’un immeuble comme relevant des locaux de la mission. Néanmoins, et comme l’a rappelé la Cour, ce droit n’est pas absolu. Il est strictement encadré afin d’éviter toute dérive. L’intérêt poursuivi est assurément noble, mais les limites imposées accentuent le brouillard autour de la notion de consentement mutuel dont l’opportunité est sujet à débats.
II. L’absence d’objection et l’affectation, deux critères cumulatifs ?
Le caractère cumulatif des conditions de consentement et d’affectation a été clairement exprimé par la CIJ. Un bien n’acquiert le statut de « locaux de la mission » qu’en l’absence d’objection de la part de l’État accréditaire et à condition qu’il soit utilisé à des fins diplomatiques. Le principe ainsi dégagé par la Cour induit une certaine chronologie. L’État accréditant ne peut procéder à l’affectation du bien qu’après réception de l’autorisation de l’État accréditaire. Toutefois, les règles régissant le droit d’objection suggèrent une prééminence du critère de l’affectation et rend par la même occasion inopérant celui de l’absence d’objection.
Eu égard à la nécessité de préserver les relations d’amitié entre les États, la Cour considère que le droit d’objection ne saurait s’exercer de façon illimitée. L’État accréditaire est de ce fait contraint de communiquer son objection en temps voulu d’une part, et d’autre part veiller à ce que cette objection ne présente un caractère ni arbitraire, ni discriminatoire.
La question du temps de l’objection n’a pas grande incidence sur son opportunité. Elle signifie tout simplement que l’État accréditaire doit communiquer sans délai son objection à la désignation par l’État accréditant d’un immeuble comme locaux de la mission diplomatique. Dans le cas d’espèce, la Cour a jugé qu’une objection communiquée dans le délai d’une semaine était conforme à l’impératif temporel.
L’analyse des conditions matérielles de l’objection porte en revanche à croire que l’unique véritable critère d’acquisition du statut de « locaux de la mission » est l’affectation réelle du bien au service diplomatique. En effet, la Cour conclut au caractère non arbitraire et non discriminatoire d’une objection en se fondant sur l’absence d’affectation réelle du bien litigieux. En d’autres termes, une objection est arbitraire ou discriminatoire lorsque l’État accréditant produit des éléments attestant que l’immeuble en cause est utilisé ou fait l’objet de préparatifs en vue d’être utilisé comme locaux de la mission diplomatique. Or, toute objection arbitraire ou discriminatoire est interdite conformément à l’esprit de la Convention de Vienne[11]. Par conséquent, un bien uniquement affecté à l’usage diplomatique peut bénéficier du régime protecteur des locaux de la mission puisque toute objection de l’État accréditaire serait rejetée dans ces circonstances. Cela signifie-t-il que l’État accréditant peut décider unilatéralement d’affecter un bien au service de sa mission diplomatique ? La Cour y répond par la négative mais ne précise pas comment une objection peut être arbitraire si au demeurant l’État accréditaire n’a pas donné son consentement à l’affectation.
La Cour affirme par ailleurs que les critères du consentement et de l’affectation sont cumulatifs, pourtant la désignation d’un immeuble diplomatique peut résulter uniquement de son affectation en raison d’une objection arbitraire ou discriminatoire. Ces critères ne sont pas pour autant alternatifs dans la mesure où un bien ne peut bénéficier du statut diplomatique en dehors de toute affectation effective même si l’État accréditaire y consent. Quel est alors l’intérêt de la nouvelle condition dégagée par la Cour ? En est-elle véritablement une ? Face à toutes ces interrogations, une systématisation du statut de « locaux de la mission » est plus que jamais souhaitable, d’autant plus que sa clarification renforcera tout au moins le champ d’application des immunités étatiques.
[1] CIJ, Immunités et procédures pénales (Guinée Équatoriale c. France), Arrêt du 11 décembre 2020.
[2] Les locaux de la mission diplomatique sont inviolables. Ils ne peuvent faire l’objet d’aucune perquisition et contrôle. Les agents de l’État accréditaire ne peuvent y pénétrer qu’avec le consentement du chef de la mission. L’État accréditaire doit également prendre toutes mesures appropriées pour protéger les locaux de la mission de tout dommage. Les biens meubles, archives et documents de la mission ne peuvent pas non plus faire l’objet de réquisition, saisie ou mesure d’exécution.
[3] Pris en tant que synonyme de « locaux de la mission ».
[4] Article 1 al. i) de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961.
[5] CIJ, arrêt, préc., § 74.
[6] Voir les opinions individuelles et dissidentes des juges Xue, Bhandari, Robinson, Kateka, Yussuf, disponibles sur [https://www.icj-cij.org/fr/affaire/163].
[7] Article 2 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
[8] Préambule de la Convention.
[9] CIJ, Arrêt, préc., § 69
[10] Informations communiquées par la CIJ.
[11] Cela se justifie par l’article 21 de la Convention qui dispose que : « 1. L’État accréditaire doit, soit faciliter l’acquisition sur son territoire, dans le cadre de sa législation, par l’État accréditant des locaux nécessaires à sa mission, soit aider l’État accréditant à se procurer des locaux d’une autre manière. 2. Il doit également, s’il en est besoin, aider les missions à obtenir des logements convenables pour leurs membres ». L’on comprend alors qu’autoriser l’État accréditaire à s’opposer à l’attribution du statut diplomatique à un bien déjà affecté ou devant être affecté au service diplomatique serait contraire à l’esprit de l’article 21.