Le contrôle des ordonnances de l’article 38 de la Constitution avant leur ratification par le Parlement

 

 

Par Gaël AKPADJI

ATER en droit public à l’URCA  CRDT

Par l’arrêt rendu le 16 décembre 2020[1] le Conseil d’État précise le régime contentieux des ordonnances non ratifiées et confirme que le « crime du 28 mai »[2] n’a vraiment pas eu lieu.

« Depuis le début de la Cinquième République, le Conseil d’État puis la Cour de Cassation et le Conseil constitutionnel jugeaient que les ordonnances constituaient, avant leur ratification par le Parlement, des actes administratifs que le Conseil d’État pouvait contrôler, y compris au regard de la Constitution, comme il le fait pour tous les actes réglementaires émanant du Gouvernement »[3].

Avec les décisions du 28 mai[4] et du 03 juillet[5] 2020, le Conseil constitutionnel a semblé remettre en cause cette jurisprudence[6]. Désormais, le juge constitutionnel affirme que les dispositions d’une ordonnance « doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité »[7].

Par ce revirement jurisprudentiel, le Conseil constitutionnel a suscité l’émoi de la doctrine. En effet, la compétence du Conseil d’État pour contrôler les ordonnances non ratifiées à l’expiration de la loi d’habilitation semblait évincée. Il n’en est rien. Le Conseil d’État reste compétent en la matière. Simplement, il cède au Conseil constitutionnel le contrôle de la conformité de l’ordonnance non ratifiée au regard des droits et libertés que la Constitution garantit. Pour tous les autres cas de figure[8], le juge administratif reste compétent et est susceptible d’annuler l’ordonnance non ratifiée si elle est illégale[9].

Le résumé du présent exposé tient dans le tableau ci-après.

[1] CE, 16 décembre 2020, Fédération CFDT des finances et autres, publié au recueil Lebon. Le Conseil d’État a notamment jugé que l’ordonnance du 15 avril 2020 dite « Congés payés » est légale. Celle-ci imposait une prise de jours de congés et de RTT aux agents placés en « autorisation spéciale d’absence » pendant le confinement dernier. Pour le Conseil d’État, la justification tient aux « besoins du service au cours de la période d’état d’urgence sanitaire et par l’objectif de diminuer le nombre de jours susceptibles d’être pris à la reprise ». Voir le communiqué de presse de la décision, disponible à l’adresse : https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/ordonnances-de-l-article-38-de-la-constitution-le-conseil-d-etat-precise-le-mode-d-emploi-du-controle-qu-il-continuera-d-exercer-sur-leur-leg

[2] Voir notre article dans le premier numéro du Bulletin de l’ADENDUR : « Le Conseil constitutionnel et les ordonnances de l’article 38 de la Constitution : « le crime du 28 mai n’a [peut-être] pas eu lieu », disponible à l’adresse :  https://adendur.blogspot.com/2020/12/le-conseil-constitutionnel-et-les.html

[3] Communiqué de presse de la décision du 16 décembre 2020, préc.

[4] Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5, Journal officiel du 29 mai 2020, texte n° 58.

[5] Décision n° 2020-851/852 QPC du 03 juillet 2020, M. Sofiane A. et autres, Journal officiel du 4 juillet 2020, texte n° 102.

[6] V. Villette, « Le contrôle des ordonnances non ratifiées de l’article 38 de la Constitution », RFDA, 2021, p. 171.

[7] Considérant 11 de la décision du 03 juillet 2020, préc.

[8] Règles et principes de valeur constitutionnelle, engagements internationaux de la France, limites fixées par le Parlement dans la loi d’habilitation, principes généraux du droit, règles de compétence, de forme et de procédure.

[9] J.-M. Pastor, « Le regard neuf du Conseil d’État sur les ordonnances non ratifiées », Dalloz actualités, édition du 28 janvier 2021. Disponible à l’adresse : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/regard-neuf-du-conseil-d-etat-sur-ordonnances-non-ratifiees#.YBNLVC3pOL0