
Bilan coordonné par Efoe DOSSEH-ANYRON, Président de la Clinique Juridique Djéna
Rédigé par Ebo KWAMI, Houessou MESSAN, Koffi AGBA
« Être Homme, c’est précisément être responsable (…).
C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde »
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes
La Clinique Juridique Djena n’est pas méconnue des lecteurs de l’Adendur. Elle leur a été présentée lorsque cette dernière publiait son premier bulletin[1]. Il s’agissait également des prémices, des « premiers pas » de la clinique juridique qui avait le souci de la pérennité et de la soutenabilité du projet. Cette présentation avait permis de dévoiler sa raison d’être, ses valeurs et ses missions – notamment « l’inclusion juridique des populations les plus fragiles » – à travers des actions d’impact. Les membres de la clinique juridique étaient ravis de cette confiance accordée par l’Adendur. À l’heure du premier bilan annuel, ils se réjouissent de voir cette confiance renouvelée. Cette occasion constitue une vitrine formidable pour la clinique afin qu’elle présente au public ses réalisations depuis la dernière publication.
L’intelligence collective est consubstantielle au fonctionnement des cliniques juridiques. Elle constitue la marque de fabrique de la Clinque Juridique Djéna et sa quintessence[2]. Dans cet ordre d’idées, ce bilan d’étape se veut collectif[3].
Le bilan de la première année de la clinique juridique Djéna s’articule autour de trois points principaux. Tout d’abord, la formation était une activité nécessaire afin d’outiller les cliniciens pour qu’ils soient à même de répondre effectivement aux enjeux de la société. Monsieur EBO, membre du comité de suivi de la formation décrira l’option choisie par les cliniciens pour s’édifier mutuellement (I). Ensuite, dans un monde digitalisé, la clinique juridique a saisi l’opportunité qu’offrent les moyens modernes de la communication pour ses activités et sa communication. Monsieur HOUESSOU, responsable des programmes et chargé de la digitalisation présentera les réalisations et les projets de la clinique dans ce domaine (II). Le souci majeur de la Clinique demeure l’accessibilité du droit foncier au public. Enfin, dans un souci d’intelligibilité des règles applicables, la clinique juridique organisera une manifestation scientifique le 26 février 2022. Monsieur KOFFI, membre du comité d’organisation mettra en lumière la préparation et les attentes de cet évènement majeur pour la clinique (III).
I. La formation[4]
D’emblée, il convient de relever que la terre est un véritable trésor dans un contexte de spéculation foncière galopante[5]. Elle facilite l’accès au crédit et occupe une moyenne de 70 % – voire plus – des litiges connus des cours et tribunaux[6]. Les problèmes suscités par le foncier étaient divers et récurrents ; les instruments juridiques soit inexistants, soit désuètes pour y répondre efficacement. Le « vide juridique » était patent, les tribunaux et cours tergiversaient en puisant les réponses tantôt dans le droit français, tantôt dans le droit coutumier, sans véritablement dégager une jurisprudence constante. Tous les acteurs étaient en attente des règles claires, modernes qui constitueraient des réponses à l’insécurité foncière. Telle est l’ambition portée par la loi n° 2018‐005 du 14 juin 2018 portant Code foncier et domanial au Togo.
Ce Code, entré en vigueur il y a maintenant trois ans, est malheureusement assez méconnu de la majeure partie de la population togolaise. Une véritable œuvre de divulgation et d’appropriation s’impose[7]. C’est dans ce contexte que la Clinique Juridique Djéna s’inscrit : elle vise à rendre accessibles les concepts du Code, les expliquer aux justiciables.
Mais, là encore, une question s’est inévitablement posée. Comment réaliser ce projet alors même que les cliniciens n’ont pas encore la maîtrise pleine et entière du Code ? La formation constitue la réponse naturelle à cette interrogation : il est nécessaire pour les cliniciens, sous la conduite de l’équipe de formation, de se former, de revisiter les notions clés, de se les approprier, les traduire en pratique avant de les restituer aux populations et les assister. Un chronogramme d’étude du Code foncier[8] a donc été défini sous la houlette de suivi et de formation.
À l’heure du bilan, il convient de passer en revue ce que la formation a concrètement apporté aux cliniciens d’une part et de décrire comment la formation s’insère dans les objectifs de la clinique d’autre part.
Le foncier occupe à l’heure actuelle une place primordiale que ce soit sur le plan d’octroi du crédit ou des affaires judicaires. Pour tout juriste, il est difficile de s’en passer. L’étude du Code s’est donc avérée incontournable.
S’agissant de la formation proprement dite, elle a porté sur les 11 titres composant le Code foncier et domanial[9]. Les séances de formation sont organisées de la manière suivante : le titre devant faire l’objet de l’étude est connu d’avance de tous les membres. Une ou deux personnes sont cooptées dans l’équipe de suivi et de formation pour animer la séance et une autre pour faire la synthèse du titre, à la suite de la séance. Chaque clinicien fait le résumé du titre en question qu’il envoie aux animateurs au plus tard deux jours avant la tenue de la séance. Les résumés sont donc reçus et des observations y sont faites lors de la séance.
Au jour fixé pour la séance[10], le(s) animateur(s) présente(nt) leur travail, accentuant particulièrement les points sensibles, les notions clés. Il(s) confronte(nt) les notions théoriques avec la pratique, en faisant des observations sur des notions ou des procédures dont la mise en œuvre peut s’avérer délicate et en essayant de donner des avis personnels. Après la présentation, vient la phase des questions-réponses et des éventuelles observations des autres cliniciens. Cette formation est donc riche, non seulement grâce aux thématiques sur lesquelles elle porte, mais également pour l’échange et le partage d’expériences qui y prennent place. Les étudiants sont mieux outillés sur les aspects pratiques de la mise en œuvre du Code et maîtrisent davantage la prévention de certains litiges, qui peuvent donc être évités, ou, à défaut, leur résolution.
Cette formation prédestine des étudiants à des postes dans des structures comme des cabinets d’avocats, de notaires, d’huissiers ou encore des agences immobilières et banques. D’ailleurs, nombreux sont déjà les cliniciens qui creusent davantage la matière en choisissant un thème de mémoire qui y est relatif. Ces moments de partage constituent un plus pour parfaire leur mémoire. Enfin, au-delà des cliniciens étudiants, la formation a apporté une valeur ajoutée aux cliniciens professionnels ou membres de l’équipe de suivi et de formation[11].
Les objectifs de la Clinique Juridique convergent vers un point commun : rendre accessible et compréhensible le droit en général et le droit foncier en particulier. La formation telle que décrite est donc l’élément matriciel et fondamental pour y parvenir. Cette formation s’insère parfaitement dans les objectifs de la clinique et attise l’envie de s’impliquer davantage[12].
II. La digitalisation[13]
Le contexte de naissance de la clinique juridique, marqué par la crise sanitaire, a démontré aux membres de la clinique juridique l’impérieuse nécessité des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC). Ces derniers ont été sensibilisés (1) à l’importance de ces technologies, particulièrement digitales, en constatant les bénéfices qu’ils en ont tirés pour l’organisation de leurs activités (2).
La sensibilisation des membres aux NTIC
Être étudiant en droit est une chose, être membre d’une clinique juridique en est une autre. L’appartenance à une clinique juridique est en effet une expérience enrichissante dès lors que les étudiants sont formés à la pratique. La clinique juridique Djéna a le souci de l’insertion professionnelle des étudiants. Elle a permis à ceux-ci de faire leurs premiers pas dans la communauté juridique entourés des professionnels du droit et de praticiens. Les cliniciens ont ainsi pu élargir leur réseau professionnel d’une part et développer un sens de responsabilité d’autre part. Une prise de conscience sur la nécessité du digital a été observée chez les membres de la clinique qui l’ont intégré à leur quotidien. La digitalisation a été un facteur de découverte de potentiel latent auprès des membres[14] permettant la réalisation de diverses tâches.
Les réalisations dans le domaine digital
Concomitamment à la création de la Clinique, la crise sanitaire s’est imposée avec son lot de restrictions, et notamment l’interdiction des rassemblements de la population. Il était alors impossible pour les membres de la Clinique d’organiser des évènements en vue de rendre publiques leurs activités. Face à cette situation, les membres du Bureau Exécutif ont mis en place un comité chargé de la digitalisation. Ce comité a pour mission d’élaborer les stratégies de communication digitale afin de toucher une population la plus large possible. Les travaux accomplis par ce comité ont abouti, le 28 mai 2021, à la création de deux (02) pages sur les réseaux sociaux, Facebook et LinkedIn. Le choix s’était porté sur ces deux réseaux sociaux pour des raisons spécifiques. Le premier (Facebook) est le plus utilisé par la population locale car il a une vocation qui transcende le milieu professionnel et présente l’avantage d’être facile d’accès. Le second (LinkedIn) est un réseau professionnel qui permettait de toucher avec précision les différents acteurs qui gravitent autour du secteur d’activité de la clinique juridique.
Après la phase de la création des pages sur les réseaux sociaux, une campagne digitale a été menée, permettant enfin à la Clinique Juridique Djéna de se faire connaître par le public et de présenter ses activités et ce depuis le 30 juin 2021. La Clinique Juridique a alors exposé son but, ses objectifs, son domaine d’intervention et ses moyens d’action. Le 30 septembre 2021, a été publié un article autour de l’une des activités phares de la clinique, l’étude du Code foncier et domanial. Par ailleurs, les dates des formations portant sur l’étude du Code foncier et domanial s’étant tenues depuis mars 2021 ont été publiées.
Les prochaines étapes dans le domaine de la digitalisation seront la mise en place d’un site internet, ce besoin faisant sentir. Est également envisagée la mise à disposition du public d’une application permettant de saisir la clinique avec des cas pratiques dans le domaine foncier.
Confrontée à la crise sanitaire, la clinique juridique Djéna a dû adopter un mode de communication axé sur le digital. Ce mode de communication adopté s’est révélé utile et agréable surtout au regard de ses potentialités.
III. L’organisation d’une matinée-débats[15]
La clinique juridique organise une matinée-débats le 26 février 2022. Cette manifestation permettra de capitaliser sur le fruit de l’étude du Code foncier. Chaque clinicien est effectivement invité à choisir un thème issu de l’étude et qui fait écho à une question pratique de la société. Partant de ce problème, l’objectif est de donner une réponse tant théorique que pratique. Une valeur ajoutée de la contribution sera une proposition personnalisée de réponse et une dimension prospective de l’intervention.
La fin de la formation portant sur l’étude du Code foncier est prévue le 14 novembre 2021. Les cliniciens auront alors jusqu’à la fin du mois de novembre pour soumettre leurs thèmes au comité d’organisation de la matinée-débats. En effet, le comité d’organisation a la charge d’agencer ces thèmes pour construire la cohérence de la matinée-débats. Cette manifestation constitue l’étape préalable à la rencontre avec les « clients » de la Clinique Juridique.
En effet, la démarche de la Clinique Juridique Djéna s’organise en trois étapes. La première consiste à la formation. Celle-ci vise l’insertion professionnelle des étudiants.
La deuxième étape est dominée par une politique de vulgarisation. La clinique se donne pour mission d’aller vers le public à travers les séances dites de « vulgarisation ». Le public est invité, à son tour, à venir découvrir la clinique et cette dernière s’engage à l’accueillir dans ses locaux.
La troisième étape est ce que l’on pourrait appeler « la mise en place du mode de saisine de la clinique ». Elle consistera ainsi à la création d’une application à partir de laquelle les personnes les plus vulnérables pourront contacter la clinique pour soumettre leurs problèmes pratiques. Bien entendu, ce mode ne se substitue pas au mode direct ou présentiel, les deux modes ont vocation à coexister.
Conclusion
La clinique juridique a fêté cet été ses noces de coton. Après une période de formation, elle fonde beaucoup d’espoir sur l’année 2022 qui devrait lui permettre de commencer à répondre aux attentes des justiciables les plus défavorisées au travers de ses activités : des séances de vulgarisation de la règle applicable in situ dans les communautés, des journées d’information dans son centre mais aussi à travers une application dont elle compte se doter. Elle sait pouvoir compter sur la bonne volonté de ses partenaires, et notamment l’Adendur. L’impatience des cliniciens est fébrile tant est vif leur souhait d’impact. Bon vent à la CJD !
[1] E. Dosseh-Anyron, « La clinique juridique comme une réponse à la distanciation sociale dans l’enseignement supérieur ? Le cas de la clinique juridique Djena au Togo », Bulletin de l’Adendur, 2020, n°1.
[2] L’intelligence collective constitue la réponse aux demandes sociales contemporaines. Elle est le ferment des structures durables. V. en ce sens, Staune (Jean), L’intelligence collective, clé du monde de demain, Editions de l’observatoire, Paris, 2019
[3] Le Président de la Clinique Juridique saisit l’occasion pour exprimer sa profonde gratitude aux autres cosignataires pour leur engagement sans faille. Ils représentent, comme leurs autres cliniciens, les acteurs du changement pour un développement durable et inclusif.
[4] EBO Kwami Brother, Titulaire d’un Master Professionnel en droit des affaires et Fiscalité, Juriste à la SCP ELI & PIERRE, société d’Avocats au Barreau de Lomé. Au sein de la clinique, membre de l’équipe de suivi et de la formation
[5] « Time is money », disent les anglo-saxons pour caractériser la place importante du temps dans la réalisation des profits. Si, sous quelques réserves près, ce dicton est exact dans un monde de plus en plus coulé dans le moule du capitalisme, il est aussi indubitable que dans la plupart des Etats africains, il serait exact de dire ‘’land is money’’.
[6] K. F. WEKA, « réflexions sur les enjeux du foncier au Togo », Reflets du palais, n° 52, Avril 2018.
[7] Il faut reconnaitre que les autorités togolaises ont quand même entrepris quelques mesures ainsi que des ateliers allant dans le sens de la vulgarisation du code.
[8] Le Code foncier comporte 11 titres. En début d’année, les séances d’étude se faisaient un[3][3]e fois par mois. Mais par la suite, la cadence a changé en deux séances par mois.
[9] Il s’agit précisément de : Titre 1 : Dispositions générales ; Titre 2 : Des institutions ; Titre 3 : De la propriété ; Titre 4 : De la possession, de la prescription acquisitive et de la détention ; Titre 5 : Des autres droits réels immobiliers ; Titre 6 : Du domaine immobilier de l’Etat et des collectivités territoriales ; Titre 7 : De la gestion des ressources naturelles ; Titre 8 : Des dispositions relatives aux terres rurales et aux terres de tenure foncière coutumière ; Titre 9 : De la preuve et du contentieux foncier ; Titre 10 : Des infractions et des sanctions ; Titre 11 : Des dispositions transitoires et finales.
[10] Les séances se tiennent les dimanches de dix-huit heures à vingt heures
[11] En ce qui nous concerne particulièrement, étant membre de l’équipe de formation nous avons animé et conduit certaines séances. Cela nous a permis d’approfondir davantage certains aspects théoriques de la matière et chercher ensemble des solutions. Qui forme, se forme, dit-on.
[12] Au départ nous avons été attirés par la clinique du fait qu’elle porte sur le droit. Cependant, à ce jour, eu égard aux réalisations et aux perspectives d’avenir, nous sommes beaucoup plus attirés par le sérieux et la détermination qui caractérisent la clinique.
[13] Houessou Messan Bertin, Responsable des programmes et spécialement chargé de la digitalisation, Etudiant en Master 1 droit (année universitaire 2021-2022), stagiaire en qualité de juriste au Cabinet SCP Agboyibo & Associes, société d’Avocats au Barreau de Lomé.
[14] À titre personnel, j’ai pu développer des compétences de Community Manager, valorisables pour la suite de mon parcours.
[15] Agba KOFFI, Membre de l’équipe du suivi et de formation au sein de la clinique juridique en charge des manifestations scientifiques, Auditeur de Master Justice et Droit du Procès (MJDP), Université de Kara, rédacteur d’un mémoire de fin d’études portant sur le juge dans la revendication de la propriété foncière sous le régime du code foncier et domanial de 2018.