
Par Laura CHAMPAIN
Enseignante en droit privé à l’URCA – I.R.J.S. (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Ce sont près de deux années de réflexion qui ont préludé à la remise du rapport « Assemblée plénière, chambres mixtes et avis », selon la communication qui en a été faite par la Cour de cassation, sur son site internet, le 5 octobre dernier[1]. Tant l’initiative que l’élaboration du rapport prennent source en interne. Pour autant, la doctrine n’a pas été exclue du processus[2]. Ayant vocation à « envisager les réformes qui s’avèreraient nécessaires »[3] concernant le rôle et l’organisation des formations solennelles de la Haute juridiction, le rapport contribue au mouvement de rationalisation de la cassation dans l’ordre judiciaire[4]. Il va sans dire que, tout comme la Justice en général[5], la cassation doit faire face au défi du nombre[6]. Ce rapport, en quatre parties, entend participer au mouvement par la formulation de quatorze recommandations[7].
Juguler la faculté de rébellion des juges du fond ? La première partie[8] est dédiée à « L’autorité des arrêts de cassation avec renvoi sur les points de droit jugés par la Cour à l’égard de la juridiction de renvoi ». Par une méthode consistant à présenter les procédures à l’aune de leurs contextes historique et statistique, les auteurs du rapport s’interrogent sur la nécessité ou non d’imposer à la juridiction de renvoi de se conformer à la décision précédemment rendue par la Cour de cassation et ce, en toute hypothèse[9]. À cet égard, le groupe de travail n’a pas formulé de recommandation finale[10], tant la question a pu diviser les personnes auditionnées[11]. Il n’en demeure pas moins qu’une tendance s’est largement dessinée au sein du groupe de travail en faveur de la suppression de la faculté de rébellion[12].
Supprimer la réunion en chambre mixte ? La deuxième partie[13] est relative aux « Formations solennelles de la Cour de cassation », à savoir les conditions dans lesquelles il convient de réunir une assemblée plénière ou bien une chambre mixte (recommandations nos 1 à 8). Les personnes auditionnées n’étaient pas unanimes quant à la nécessité de maintenir les deux formations solennelles existantes[14]. Le groupe de travail estime quant à lui que, si les deux formations doivent être maintenues, leurs champs de compétence doivent être redéfinis de façon à être pleinement complémentaires : à l’assemblée plénière, uniquement la fonction normative[15] ; à la chambre mixte, l’habituelle fonction d’unification de la jurisprudence[16]. Afin de permettre d’affiner concrètement cette distinction et d’anticiper davantage l’orientation éventuelle des affaires vers l’une des formations solennelles, un process[17] a été mis en place en marge des textes applicables[18]. Par ailleurs, il est recommandé[19] que le directeur du service de documentation, des études et du rapport[20] siège au sein des formations solennelles. Certes, l’objectif est d’éviter le partage de voix lors du jugement de l’affaire, mais il est surtout de mettre en lumière efficacement l’existence de liens entre l’affaire soumise à la formation solennelle et d’autres affaires soumises à la Cour de cassation, avis inclus[21]. Plus largement, le groupe de travail recommande[22] que certaines « bonnes pratiques […] » compatibles avec la législation en vigueur « [reçoivent] une application générale et systématique »[23].
Doter les avis d’un caractère obligatoire ? De façon générale, le rapport pose la question, dans une troisième partie, de la mutation éventuelle de « La saisine pour avis de la Cour de cassation par les juridictions de l’ordre judiciaire »[24]. L’efficacité de cette procédure – pourtant jugée utile – se trouve limitée par la lourdeur des conditions de recevabilité de la demande d’avis[25]. Quoique la procédure de traitement paraisse adaptée à un traitement de l’affaire dans un délai raisonnable[26], la procédure pourrait être optimisée par une différenciation des circuits d’examen de la question de droit soumise à la Haute juridiction[27]. C’est toutefois la portée de l’avis qui interroge : devrait-il lier le juge l’ayant sollicité pour le litige dont il est saisi ?[28] Pour finir, l’utilité des avis rendus par la Cour de cassation pourrait être renforcée. D’abord, s’agissant de la connaissance du droit positif, par une plus fréquente publication de ceux-ci au Journal officiel de la République française[29]. Ensuite, s’agissant de la cohérence du droit positif, par la possibilité donnée à la Cour de cassation d’élargir le périmètre de son avis au-delà du strict cadre de la question qui lui est posée[30]. En tout état de cause, la procédure d’avis est présentée comme un précieux outil de dialogue entre les juridictions[31].
Renforcer la normativité des avis officieux et informels ? La quatrième partie du rapport est consacrée aux « Modes procéduraux de collaboration entre les chambres de la Cour »[32]. Les recommandations nos 11 à 14 bis concernent des procédures nécessitant l’intervention de plusieurs chambres, sans qu’il soit recouru à la réunion d’une formation solennelle : l’une est instituée[33], l’autre est d’origine prétorienne[34]. Du propre aveu des auteurs du rapport, ces recommandations ne sont pas originales[35]. En revanche, le rapport met en évidence un certain nombre de pratiques de collaboration officieuse, souple ou informelle entre chambres et/ou rapporteurs de la Cour de cassation[36]. L’existence de telles pratiques de dialogue entre juges n’est pas nouvelle[37]. Néanmoins, la publicité qui en est faite est intéressante en ce qu’elle révèle le recours à des procédés mis en œuvre en marge des textes, visant à s’abstraire de formes contraignantes – telles que les transmissions ou renvois de dossiers entre chambres – et ce, dans un but de traitement efficace de l’affaire. Le rapport évoque implicitement des différences de degrés dans la formalisation de ces process[38] de nature « infra-procédurale »[39]. Est-ce à dire qu’ils font l’objet de protocoles de procédure[40] au sein de la Cour de cassation ? Le rapport demeure assez flou sur la question, se contentant de préciser que « ces pratiques en sont encore à leurs débuts » et qu’« il apparaît souhaitable qu’elles se développent, de façon plus systématique, dans un avenir proche »[41]. Les critères justifiant le recours à ces pratiques plutôt qu’à la procédure d’avis prévue à l’article 1015-1 du Code de procédure civile ne convainquent pas nécessairement[42], et aucune recommandation n’est formulée à ce sujet. La discussion quant au statut normatif des pratiques judiciaires – hors formalisation dans des protocoles de procédure – gagnerait à être rouverte !
[1] Pour accéder au rapport et à sa genèse, se référer à la page suivante : https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2021/10/05/travaux-de-reforme-assemblee-pleniere-chambre-mixte-avis
[2] Se référer, en ce sens, à la liste des personnalités auditionnées (pp. 7-10 du rapport).
[3] V. La lettre de mission, datée du 30 septembre 2019, adressée par Madame Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, à Monsieur Bruno Pireyre, président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (rapport, in fine).
[4] Motivation enrichie, différenciation des circuits, etc.
[5] L. Cadiet « La justice face aux défis du nombre et de la complexité », Les cahiers de la justice, 2010/1, pp. 13-35.
[6] C. Gau-Cabée, La cassation française à l’épreuve du nombre – Chronique d’une émancipation inachevée, I.R.J.S. éd., coll. Les voies du droit, sept. 2021.
[7] V. pp. 84-89 du rapport.
[8] V. pp. 11-31 du rapport.
[9] On se souvient en effet que, lorsque le renvoi est ordonné par la Cour de cassation réunie en assemblée plénière, la juridiction de renvoi est liée par les points de droit jugés par cette assemblée (art. L. 431-4, al. 2, COJ). À l’heure actuelle, donc, et uniquement en cette hypothèse précise, la juridiction de renvoi se voit refuser la possibilité de « se rebeller » et n’a d’autre choix que de se soumettre.
[10] V. p. 84 du rapport.
[11] V. p. 23 et p. 24 du rapport ; de telle sorte que le groupe de travail estime que cette question ressort du politique (v. p. 30 et p. 31 du rapport).
[12] Qui ne doit pas être confondue avec la suppression de la faculté de résistance (v. p. 27 du rapport).
[13] V. pp. 32-55 du rapport.
[14] V. p. 40 du rapport.
[15] Il s’agirait de remplacer, dans l’article L. 431-6 du Code de l’organisation judiciaire, l’expression « question de principe » – jugée trop vague – par la référence à une « affaire [présentant] un caractère fondamental au regard de la règle de droit ou des enjeux qui s’y attachent » (Recommandation no 1), ce qui renverrait alors plus clairement à des « questions dont l’importance résulte soit de leur nature, de leur complexité juridique ou encore de ce qu’elles mettent en jeu des droits fondamentaux, soit de leurs incidences, de leur résonance, aux plans sociétal, économique, social » (v. p. 41 du rapport).
[16] V. Recommandation no 2, p. 84 du rapport.
[17] V. p. 43, in fine du rapport ; le concept renvoie à celui de « processus », entendu comme technique d’administration des affaires au sein d’une juridiction dépourvue de lien avec un litige en particulier (v. not. L. Cadiet, « La théorie du procès et le nouveau management de la justice : processus et procédure », in B. Frydman et E. Jeuland (dir.), Le nouveau management de la justice et l’indépendance des juges, Dalloz, 2011, p. 111 sq, spéc. p. 115 et H. Pauliat, « L’administration de la justice et la qualité des décisions de justice », in CEPEJ, La qualité des décisions de justice, 2008, p. 122 sq, spéc. p. 124) et, plus largement, à la notion de « pratique judiciaire ».
[18] Art. 431-7, COJ.
[19] V. Recommandations nos 4 et 5, ainsi que les pages 44 à 51 du rapport.
[20] Placé sous l’autorité du premier président de la Cour de cassation, ce service est dirigé par un président de chambre exerçant cette fonction à temps plein (art. R. 433-1, COJ).
[21] V. p. 46 du rapport.
[22] V. Recommandations nos 6 à 8, ainsi que les pages 51 à 55 du rapport.
[23] Désignation de deux (co)-rapporteurs, emprunt du « circuit approfondi » comprenant une « séance d’instruction », tenue d’une audience interactive, ainsi que le recours à un « comité de rédaction » afin de renforcer la clarté des délibérés et des décisions.
[24] Art. 1031-1 à 1031-7, C. pr. civ. ; pages 56 à 74 du rapport, ainsi que les Recommandations nos 9 et 10.
[25] V. pp. 69 à 72 du rapport.
[26] V. p. 72 du rapport.
[27] V. p. 70 du rapport.
[28] V. pages 66 à 69 du rapport. Cette interrogation est évidemment connexe aux éléments figurant dans la première partie du rapport.
[29] V. pp. 73-74 du rapport.
[30] V. p. 73 du rapport.
[31] V. p. 69 du rapport. Il est à noter que le dialogue entre juridictions est une problématique chère à Madame Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation : v. not. C. Arens, « Promouvoir et assurer la diversité familiale », Acte de la Conférence du 18 septembre 2020 sur La Convention européenne des droits de l’homme a 70 ans – Dates marquantes et grandes avancées, accessible à l’adresse suivante : https://echr.coe.int/Documents/Speech_20200918_Arens_Conference_70_years_Convention_FRA.pdf
[32] V. pp. 75-83 du rapport ; recommandations nos 11 à 14 bis.
[33] Art. 1015-1 C. pr. civ., relatif aux avis délivrés par une chambre sur sollicitation de la chambre saisie du pourvoi.
[34] Il est heureux que l’usage des « arrêts successivement délibérés par deux chambres » ait été soumis à la discussion lors de l’élaboration du rapport.
[35] V. p. 75 du rapport.
[36] V. pp. 76-77 du rapport.
[37] Sur cette question, v. not. : L. Champain, « Interactionnisme et norme, approche juridique », préc., spéc. p. 23 (pour les discussions dites de couloir) et pp. 52-56 (pour les outils de collaboration entre juges hors délibéré) ; v. aussi, L. Veyre, « Les listes de discussion entre magistrats : vers une nouvelle forme de création et d’unification de la jurisprudence ? », JCP G no 27 du 3 juillet 2017 783.
[38] V. p. 76 du rapport.
[39] V. p. 75 du rapport.
[40] Sur lesquels, v. not. : S. Jobert, « La garantie normative des protocoles de procédure », in C. Thibierge (dir.), La garantie normative, exploration d’une notion-fonction, éd. Mare & Martin, 2021, p. 403 et s. ; C. Bléry, « Protocoles de procédure » – Chap. 411, in S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz, 2021-2022.
[41] V. p. 77 du rapport.
[42] V. p. 78 du rapport.