
Par Syliane BADRAN
Doctorante contractuelle en droit privé à l’URCA – CEJESCO
L’article 1 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoit la possibilité d’enregistrer et de diffuser les audiences publiques devant les juridictions judiciaires et administratives dans le cas où elles présenteraient un intérêt public. Selon la chancellerie, cet intérêt public peut s’entendre soit d’un intérêt pédagogique, soit de l’importance de l’affaire[1]. Il n’y a pas de précision sur ce que recouvre le caractère important de l’affaire mais il est possible qu’il s’agisse notamment des affaires à fort retentissement médiatique. Cette possibilité s’insèrerait dans la loi du 29 juillet 1881[2] sur la liberté de la presse.
1. L’enregistrement des procès dans le temps –La question de la captation audiovisuelle et de la diffusion des procès n’est pas nouvelle. En effet, cela était autorisé jusque 1954. Néanmoins, suite aux difficultés posées par les journalistes lors de l’affaire Dominici, l’Assemblée nationale a voté en urgence la loi du 6 décembre 1954, interdisant de filmer les audiences[3]. Dans l’affaire Dominici, le père de famille était accusé d’un triple meurtre envers une famille britannique dont les corps ont été trouvés à proximité de son domaine. L’affaire a eu à l’époque un retentissement médiatique tellement important que les journalistes se bousculaient à l’entrée du tribunal. Pour assurer la sérénité des débats, les députés ont interdit la captation audiovisuelle des audiences. Une légère évolution s’est produite avec la loi du 11 juillet 1985. En effet, l’enregistrement de certains procès est possible « s’il présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques ». C’est dans ce cadre qu’a été enregistré, par exemple, le procès de Klaus Barbie en 1987 ou plus récemment, le procès des auteurs des attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui s’est ouvert mercredi 8 septembre 2021. Les procès visés par le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire semblent plutôt relever de la justice du quotidien. Il est possible de placer ce projet dans la continuité du rapport Linden commandé en 2004 par Dominique Perben, alors garde des sceaux. Malgré le fait que le rapport relève un nombre important de risques liés à la mise en place d’une diffusion des procès[4], ce dernier conclut à la possibilité de mettre en place la captation des débats. Les raisons avancées sont une meilleure transparence et « un espoir de meilleure compréhension de la justice »[5]. Ce dernier objectif semble également expliquer la mise en place de la captation audiovisuelle des audiences et de leur diffusion dans le projet de loi[6]. Cette meilleure compréhension est censée améliorer la confiance des justiciables dans la justice qui est l’objectif affiché de cette loi.
2. Le cadre légal fixé par l’article 1 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire – Cet article vient autoriser l’enregistrement du son et/ou de l’image d’une audience. Si l’audience est publique, l’autorisation des parties n’est pas requise pour ce qui concerne l’enregistrement (pour ce qui concerne la diffusion, le consentement est requis que l’audience soit publique ou non). L’enregistrement doit respecter le bon déroulement de la procédure et des débats et ne doit pas porter atteinte aux droits des parties et des personnes enregistrées. Dans le cas contraire, le président d’audience peut décider de suspendre voire d’arrêter l’enregistrement. S’agissant de la diffusion de ces enregistrements, elle n’est possible qu’après le jugement définitif de l’affaire. Une exception est faite pour les audiences de la cour de cassation et du conseil d’État. En effet, la diffusion peut se faire le jour même après avis préalable des parties. L’article fait ici référence à « l’avis » des parties, non à leur « accord » ou « consentement ». De ce fait, on peut se demander si l’avis des parties lie l’autorité chargée d’autoriser cette diffusion immédiate. Cette différence de traitement entre les juridictions du fond et les juridictions suprêmes dénotent une prise en compte de leur différence de rôles. La diffusion immédiate tend à mettre en avant le rôle normatif des juridictions suprêmes : le débat se déplaçant du fait au droit, les risques tels que l’atteinte à la présomption d’innocence sont moins importants à ce stade de l’affaire. Les conditions de la diffusion ne doivent porter atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence. En outre, la diffusion n’est possible qu’après l’obtention du consentement écrit des personnes enregistrées avant l’audience. Ce consentement est rétractable après l’audience. L’article prévoit également une protection particulière pour les mineurs et les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection en interdisant que la diffusion ne permette de les identifier. Enfin, un droit à l’oubli est réservé puisque les éléments d’identification des personnes enregistrées ne peuvent être diffusés « plus de cinq ans à compter de la première diffusion, ni plus de dix ans à compter de l’autorisation d’enregistrement »[7]. Il est possible de s’interroger sur la mise en œuvre pratique de ce droit à l’oubli. Pour peu que l’affaire soit fortement médiatisée, la suppression des éléments d’identification cinq ans après la première diffusion n’empêchera pas de connaître les parties au procès. De plus, quand bien même l’affaire serait ignorée par la majorité des justiciables, la disparition des éléments d’identification sera sans effet sur les parties principales et leurs proches.
3. Les questions non réglées par le projet de loi – Malgré le fait que l’article comporte 16 paragraphes, beaucoup de points ne semblent pas réglés. En premier lieu, certaines garanties semblent difficiles à satisfaire d’un point de vue technique. Par exemple, la suppression des éléments d’identification des parties en cas de rétractation du consentement à la diffusion semble difficile si le procès à un fort retentissement médiatique[8]. De même, la question du secret des échanges avec l’avocat n’est pas réglé, ce qui amène des interrogations quant à ce qu’il sera fait si des micros captaient un échange de paroles entre un avocat et son client[9]. D’autres difficultés apparaissent quant à la mise en place matérielle de l’enregistrement audiovisuel des procès. La loi ne règle pas la question de savoir qui sera chargé de filmer les procès, selon quels moyens et quel sera le canal de diffusion[10].
4. Les critiques apportées à cet article – Enfin, si certains auteurs considèrent que cette initiative permettrait d’assurer une meilleure publicité et compréhension de la justice[11], d’autres ont pointé les risques de dérive d’une telle diffusion à l’époque des réseaux sociaux et de la téléréalité[12]. En effet, les interventions publiques d’acteurs d’un procès médiatique peuvent déjà susciter de vives réactions dans l’opinion publique. Le risque est qu’avec la diffusion des procès, les campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux voire de menaces (contre le mis en cause, sa famille, ou encore un avocat ou un magistrat,…) s’aggravent[13] et ne portent atteinte à la sérénité des débats. D’autres encore pensent que le fait de filmer les acteurs du procès les incitera à contrôler leur comportement face à la caméra ce qui nuit à la spontanéité des débats[14]. Enfin, une dernière critique faite est qu’au lieu d’investir dans des outils d’enregistrement pour les salles d’audience, le budget de la justice serait mieux employé à améliorer les moyens des tribunaux, par exemple, en équipant d’abord les tribunaux d’outils informatiques performants, en recrutant davantage de magistrats, de greffiers,…[15]
[1] J-M Pastor, Filmer le procès sans en faire un spectacle, Dalloz Actualité, 16 avril 2021.
[2] Le projet de loi prévoit d’ajouter un article 38 quater. L’article 38 ter interdit la captation audiovisuelle des audiences.
[3] O. Dufour, Filmer la justice à l’ère des réseaux sociaux : pour le meilleur ou pour le pire, Actu-juridique.fr, 28 septembre 2020
[4] Parmi les risques relevés, il y avait notamment : la « starification » de certains acteurs du procès, le risque de « figer les victimes dans leur douleur et les accusés dans leur faute » v. O. Dufour, art. prec.
[5] O. Dufour, Ibid.
[6] E. Derieux, Vers une justice de la téléréalité ?, Actu-juridique.fr, 7 octobre 2020.
[7] Article 1 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, §10.
[8] M. Lartigue, Audiences filmées : un cadre flou qui mériterait une mise au point, Gaz. Pal. 15 juin 2021, n°423e0, p. 5
[9] M. Lartigue, ibid.
[10] Ibid.
[11] J-M Pastor, art. prec.
[12] E. Derieux, Vers une justice de la téléréalité ?, prec.
[13] J. Courvoisier, Audiences filmées : sortez le pop-corn, ce soir il y a Justice-réalité !, Actu-juridique.fr, 10 mai 2021
[14] M. Lartigue, art. prec.
[15] O. Dufour, art. prec.