Retour sur la dissertation juridique : un exercice encore mal connu des étudiants

Par Audrey-Pierre SO’O

Doctorant en droit public à l’URCA – CRDT

La rentrée universitaire et la reprise des travaux dirigés est l’occasion de revenir sur ce classique pourtant mal maîtrisé des étudiants : la dissertation juridique.

La dissertation juridique est un exercice d’analyse structurée et critique d’un sujet. Elle nécessite de mobiliser des connaissances au soutien d’une réflexion. La dissertation est donc avant tout une démonstration. Une dissertation réussie allie structure, réflexion et démonstration.

I. Le préalable à une véritable démonstration

Un tri pertinent des connaissances est essentiel pour réussir une dissertation. L’erreur de l’étudiant consiste à faire montre de toutes ses connaissances en lien ou non avec le sujet. On en arrive à une « copie amas de connaissances », au détriment de la réflexion.

On peut ainsi ramener le processus du traitement d’un sujet en trois phases :

– une phase d’érudition : il est évidemment important d’avoir une tête bien pleine. Il faut connaître son cours, avoir des connaissances. Cette phase se fait en amont de l’examen ou du traitement de son devoir à la maison.

– une phase de tri : il est impératif de sélectionner les connaissances utiles au sujet. Cette phase permet de ne retenir que les connaissances pertinentes qui se rapportent au sujet et d’éliminer les autres. Autant dire aussi qu’une telle précaution évite à l’étudiant un hors-sujet (total ou partiel). De plus, en n’effectuant pas un tri rigoureux de connaissances, l’étudiant se cause préjudice à lui-même : il y a un risque de noyer les connaissances pertinentes dans une masse de connaissances dont certaines sont inutiles.

Le tri des connaissances doit par ailleurs conduire l’étudiant à hiérarchiser ses connaissances : toutes les connaissances n’ont pas la même importance pour le sujet. Il y a des connaissances incontournables sur un sujet qu’il faut voir, et d’autres de moindre importance dont on pourrait pardonner l’oubli. Une bonne copie s’apprécie à la qualité des connaissances relevées.

Les connaissances qui intéressent le sujet ne se trouvent pas toujours au même endroit du cours. Parfois, le sujet est suffisamment circonscrit. Dans ce cas, le recensement des connaissances est plus facile car le sujet porte sur question précise. Parfois, le sujet est transversal. La tâche est alors plus difficile. Il faut chercher et sélectionner les connaissances dans plusieurs chapitres.

–  une phase de synthèse : il faut mettre les connaissances sélectionnées au service d’une démonstration. Pour ce faire, il importe de classer ses connaissances par grandes idées (qui pourraient constituer les deux grandes parties), par sous idées (qui seraient les niveaux A et B). Ce qui permet in fine d’isoler les arguments de chaque ensemble. Cette démarche permet par ailleurs de dégager des connexions. L’objectif est de faciliter la phase de problématisation et de faire jaillir une problématique qui structurera la démonstration.

II. L’importance de la phase de problématisation pour l’originalité de la réflexion

La problématique renvoie à une chose difficile à résoudre. Le Larousse définit la problématique comme « un ensemble de questions, de problèmes concernant un domaine de connaissances ou qui sont posés par une situation ». La problématique ne saurait donc être une banale question qu’on pose simplement parce qu’il en faut une. Trop souvent la confusion est faite entre problématique et questionnement. Si une problématique c’est un ensemble de questions, c’est qu’elle englobe plusieurs questionnements. Un questionnement ne peut alors constituer une problématique, tout comme se précipiter à formuler une question banale n’est certainement pas problématiser. La problématique doit englober l’ensemble des problèmes sous-jacents du sujet donné.

C’est la problématique qui nourrit le devoir, elle en est le fil directeur, le fil conducteur. Pour employer des formules métaphoriques : elle est ce que le cœur est à l’être humain, ce que le carburant est à une voiture. On ne peut alors évacuer la problématique en quelques minutes.

Sur la forme, il faut soigner la problématique, prendre le temps de la formuler. La problématique refuse l’imprécision et l’ambiguïté. Elle doit être claire, limpide et se comprendre d’une traite. Des formules interrogatives telles que : qu’est-ce que, qui, comment, quand, quoi, dans quelle mesure, ne sont pas toujours bienvenues pour formuler une problématique. Elles exposent l’étudiant, par manque d’habilité, à une simple interrogation.

La problématique peut être un paradoxe qui se cache derrière le sujet. Elle peut aussi être une contradiction. Elle peut consister à déceler une complétude dans des éléments qui apparaissent a priori antinomiques. Il est alors souhaitable qu’elle comporte les termes clés du sujet puisque ce sont précisément les problèmes posés par le sujet que l’on souhaite résoudre. Toutefois, reprendre le sujet formulé de façon interrogative ou simplement le reformuler n’est pas problématiser. Le manque d’effort de problématisation sera reproché et il va sans dire sanctionné.

Pour vérifier que l’on a ou non une problématique, l’astuce consiste à se poser la question de savoir ce que l’on veut démontrer et à l’écrire au brouillon de façon affirmative. Par exemple, je veux démontrer que le droit constitutionnel est une science ; je veux démontrer que la démocratie est en réalité une oligarchie représentative ; je veux démontrer que la représentation travestit le sens premier de la démocratie. Si donc la problématique correspond à ce que l’on veut démontrer, cette démonstration suppose de découvrir la question ou les questions de fond que recèle le sujet. C’est là tout l’enjeu d’une bonne analyse préalable du sujet.

Il faut conduire la problématique afin de montrer au lecteur comment on y est arrivé. La problématique doit arriver après une phase de problématisation. Pour construire la phase de problématisation, il faut confronter les termes du sujet, s’interroger et mettre en lumière les liens entre les éléments du sujet, s’interroger et révéler les liens entre les connaissances du sujet. D’un mot, la problématique clôt la phase de problématisation. 

Exemple de sujet : La liberté contractuelle des personnes publiques

 Phase de problématisation (on peut utiliser trois étapes à l’image d’un syllogisme) :

1° La liberté contractuelle recouvre la liberté de conclure un contrat, de choisir son contenu, de le modifier au cours de son exécution. Elle est le propre de l’individu et repose sur sa volonté, dans le respect des limites prévues la loi.

2° La différence de nature entre l’individu et la personne publique rend le parallèle difficile s’agissant des personnes publiques. En effet, les personnes publiques agissent suivant les permissions données par le droit. Leurs actions doivent toujours être rattachées à une loi. Elles ne disposent clairement pas de la même volonté autonome que l’individu.

3° Un tel encadrement de la liberté contractuelle des personnes publiques ne réduit-il pas cette liberté à néant ?

III. Les exigences formelles à respecter pour structurer sa réflexion

L’élaboration du plan

L’habitude veut qu’un plan soit constitué de deux parties et de deux sous-parties. Il faut se tenir à cette structure. Le plan doit être la réponse logique à la problématique puisqu’il découle logiquement de l’analyse préalablement menée.

Il existe plusieurs types de plan :

i) Les plans bateaux : ils ne sont pas les plus recommandés. Ils constituent une sécurité lorsque l’étudiant est dépourvu d’idées. Ils ne sont pas toujours adaptés au sujet.

Exemples de structures : Principe/Exception ; Notion/Régime ; Conditions/Effets ; Avantages/Inconvénients ; Ressemblances/Différences.

Il est à noter que ces intitulés ne sont jamais à être utilisés dans ces termes. L’étudiant doit les adapter au sujet traité.

ii) Les plans d’idées : ils sont à privilégier. Ils se trouvent en dégageant deux grandes idées puis des sous idées du recensement des connaissances. C’est la construction de plusieurs niveaux d’arguments pour mener sa démonstration.

Remarques sur les intitulés :

Sur la forme : ils doivent être très simples, très clairs, courts de préférence, pas de verbes conjugués, et au maximum dépourvus de ponctuation. On admet seulement les deux points et la virgule. Le point de suspension est prohibé : il ne s’agit point d’un exercice de devinette. Il faut, à tout, prix, faire la chasse aux titres sophistiqués.

Sur le fond : puisque l’étudiant mène un raisonnement, une démonstration, il ne saurait s’agir de plans de cours, descriptifs par nature (la nomination du PM, la composition du Sénat, la votation de la loi, l’élaboration de la Constitution). Les mots parlent d’eux-mêmes : c’est un plan d’idées, alors les intitulés doivent exprimer des idées démonstratives. D’un mot, les intitulés doivent toujours être démonstratifs. Pour s’aider, l’on peut avoir recours ou à des mots démonstratifs par nature qui expriment en eux-mêmes une idée (exemple : la faiblesse, l’amélioration, l’insuffisance …) ou à des adjectifs qualificatifs au soutien du mot employé (la forte abstention, la timide évolution, le faux problème …).

L’intitulé doit traduire le fond dans toute sa complétude, de manière simple, claire et sans s’embarrasser de sophistication.

L’introduction

Elle sert à justifier la problématique et le plan. On ne s’explique donc pas qu’elle soit trop souvent bâclée. Cette erreur a nécessairement des conséquences fâcheuses pour la note, car c’est le premier contact avec le correcteur. L’introduction dit d’emblée si le devoir qui va être lu est réussi ou raté.

En lisant l’introduction, on doit avoir le sentiment d’une réflexion aboutie. Raison pour laquelle il faut la soigner et la rédiger une fois la problématique trouvée et le plan d’idées élaboré.

Elle doit au minimum suivre la structure suivante :

a) Une accroche (citation, actualité, paradoxe). Il faut la lier avec la suite. L’accroche n’est pas détachée du reste car autrement elle ne joue pas son rôle.

b) Poser le sujet : c’est-à-dire la définition des termes. Il est impensable de mener un raisonnement sans une définition précise et maitrisée des termes du sujet. La définition des termes essentiels du sujet, s’il y en a, est une étape obligatoire et fondamentale. On ne peut parler d’une chose sans la définir. Il n’existe pas d’exemple plus frappant de défaut de rigueur que de ne pas définir les termes de l’objet d’étude que l’on entreprend.

On peut également lors de cette phase dire l’intérêt du sujet, si cela est pertinent. 

c) Délimitation du sujet : elle est fondamentale. Il faut justifier ses choix. Si l’on écarte des éléments, il faut les relever et dire pourquoi. Le correcteur ne présume jamais les connaissances de l’étudiant.

d) Si besoin éléments historiques, droit comparé, particularités du sujet éventuellement.

e) Phase de problématisation : elle doit permettre de comprendre clairement ce que veut démontrer l’étudiant.

f) Annonce du plan : être précis dans les intitulés ; bref de préférence.

Le plan doit répondre à la problématique et à l’issue de l’introduction le lecteur doit trouver que le plan adopté est le bon.

Développements

Un paragraphe de dissertation est nécessairement argumentatif. Il doit respecter trois éléments pour se mettre à l’abri de la récitation des cours :

– L’argument de l’étudiant : commencer par avancer son idée. Ce qui atteste d’une vraie réflexion, de son originalité.

– L’élément de cours qui vient soutenir l’argument de l’étudiant : ce n’est qu’en second lieu qu’on dit son cours. Les connaissances sélectionnées doivent correspondre à l’idée avancée. Les connaissances doivent par ailleurs être hiérarchisées par niveau de pertinence.

– L’illustration : comme tout argumentaire, il est pertinent de trouver des exemples juridiques pour éviter de rester dans les vues de l’esprit et donner une image concrète à son discours.

En ne respectant pas cette forme de rédaction, l’étudiant prend le risque de la récitation. Si la sous-partie a trois arguments, chaque paragraphe devra essayer de se rapprocher au maximum de ce standard.

Ainsi la forme d’une dissertation :

I. Titre de la 1ère partie

Chapeau annonçant les deux sous-parties (en une ou deux phrases ; indiquer A et B entre parenthèses).

A. Titre de la 1ère sous-partie

Texte découpé en plusieurs paragraphes

Un paragraphe par argument, donc 3 ou 4 arguments par sous-partie. Il faut illustrer les arguments par des exemples, cela est primordial. 

Il faut laisser un alinéa entre les paragraphes pour la lisibilité de la copie.

Transition annonçant le B (pas besoin d’indiquer B).

B. Titre de la 2nde sous-partie

Idem.

Transition annonçant le II.

II. Titre de la 2nde partie

Identique au I.

Conseils de forme et vérification de la cohérence de la copie

– Attention à la cohérence ! Il faut vérifier les équations suivantes :

° A+B = I ; A+B=II.

Ne jamais rajouter à la fin une idée oubliée si elle brouille la cohérence de la sous-partie. Cela est fortement préjudiciable. On pourrait en pareil cas utiliser, mais avec grande intelligence, le subterfuge des propos conclusifs. Mais en règle générale, plutôt qu’une conclusion, mieux de finir le II. B par des considérations plus générales pour ouvrir le débat, suivant une formule consacrée.

° I+II = Problématique. Vérifier que les titres sont démonstratifs.

° Argument 1 + 2 + 3 + 4 = A ou B ; si un argument n’a pas de lien avec le titre annoncé, il faut l’écarter. Tous les arguments doivent correspondre au titre.

– Utiliser les connecteurs logiques.

– Aérer et soigner le devoir :

° Titres soulignés et stylo unique (éviter les couleurs si possible).

– Sur le style de rédaction, il faut préférer un style simple à un style inutilement sophistiqué, pompeux et par ricochet souvent obscur et inintelligible. Il pèse sur l’étudiant une obligation de pédagogie qui tient à la clarté et à l’intelligibilité de son propos. L’étudiant a également une obligation d’exactitude du propos : l’expérience n’a que trop montré la différence entre ce qui est effectivement écrit, que l’on a donc dit, et ce que l’on voulait dire. La différence est sensible et au grand désespoir de l’étudiant le correcteur note ce qui est dit.

– Il faut absolument utiliser des phrases courtes et accorder la plus grande attention à l’orthographe, à la grammaire, à la syntaxe. D’où l’importance d’une relecture de sa copie.