Proposition d’épistémologie des savoirs sur la vigne, le vin… et le champagne

Par Mathilde CHOMLAFEL

Doctorante CIFRE en sciences de gestion à l’URCA et au Syndicat Général des Vignerons de la Champagne

De premier abord, les savoirs à propos de la vigne, du vin et du champagne pourraient être considérés comme essentiellement techniques. La vigne est une plante, le vin et le champagne sont des produits transformés de ses fruits. La construction des premiers savoirs à propos de la vigne et du vin concerne d’ailleurs les pratiques culturales et les techniques de vinification (Musset, 2006).

L’intérêt grandissant des marchés pour les vins de qualité d’une part, et l’œuvre de quelques groupes d’acteurs promoteurs capables d’accompagner le développement d’une situation de production locale vers des filières productives d’autre part, nous conduisent à envisager l’intérêt d’une démarche relevant des sciences sociales pour comprendre les enjeux de la vigne, du vin et du champagne à l’échelle de la société et des territoires.  

La qualité est la notion centrale autour de laquelle gravite la construction des savoirs en sciences sociales sur la vigne et le vin. Celle-ci se tient en deux temps. Durant la seconde moitié du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle, les débats sont essentiellement menés par les disciplines académiques de la géographie, de l’agronomie et du droit. Ils concernent la qualification des terroirs (géographie), la recherche des meilleurs cépages et des meilleurs pratiques culturales (agronomie), et les moyens de sécuriser juridiquement les spécificités viticoles locales par l’appellation (droit) (Schirmer, 2000). Les savoirs produits sont en partie à l’origine de l’organisation et du développement des marchés vitivinicoles (Roger, 2010). Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la conception des fondements de la qualité des vins glisse d’une origine naturelle vers une origine liée à l’homme. Sous l’impulsion anglo-saxonne, les recherches se tournent vers la figure du « nouveau consommateur ». Les disciplines de la géographie, de l’agronomie et du droit périclitent au profit des nouvelles disciplines de l’économie, de la biochimie et du marketing (Roger, 2010). On cherche à comprendre le comportement de ce nouveau consommateur, on cherche les moyens d’y adapter les pratiques de production, de consommation et de circulation du vin. En somme, Chaudat (2012) fait le constat que le vin a longtemps fait l’objet d’une approche segmentée entre activités de production, démarche de consommation et pratiques de circulation de la vigne et du vin. Une telle approche aurait le défaut de n’en offrir qu’une vision incomplète, sans amener de réflexion sur le vin comme une marchandise qui puisse être placée au carrefour d’interactions entre des acteurs socioéconomiques. C’est à cet effet qu’il propose d’appréhender plutôt le vin comme un « objet social total », favorisant la conscience de l’intérêt d’une approche interdisciplinaire du vin. Les sciences de gestion s’emparent alors progressivement du sujet…

Et quelle approche des sciences sociales pour le champagne ?

La production de savoirs en sciences sociales à propos de la filière Champagne s’attache à démontrer avant tout sa spécificité. Le système champenois est présenté comme précurseur et abouti, fortement protectionniste. Pour citer les orientations de quelques disciplines, nous indiquerons que la géographie produit des savoirs propres à caractériser le terroir de la Champagne (Marre, Combaud), qui pourront par la suite être mobilisés dans une approche économique et sociale. L’économie se préoccupe de la notion de valeur, tant en termes de prix que de la valeur immatérielle produite par la filière Champagne (Charters, Barrère). On observe un glissement des travaux d’économie vers une étude de la structuration sociale de la filière Champagne au prisme de la valeur circulante (Ringeval-Deluze). La discipline juridique s’attache à démontrer les spécificités juridiques de l’AOC Champagne (Diart-Bouche, Georgopoulos), tandis que l’histoire a progressivement réduit son échelle d’analyse de la zone d’appellation vers des territoires localisés et des acteurs (Wolikow, Demouy, Tesson). Comme une forme de conclusion, les sciences de gestion tentent d’accorder ces différentes approches afin d’envisager les procédés de gouvernance de la filière Champagne et leur impact sur le(s) territoire(s).  

Un conseil lecture ?

  • Roger DION (1959), Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXème siècle.

Une « histoire » à proprement parler. Cet ouvrage initie une approche interdisciplinaire des savoirs de la vigne et du vin.