LES ENTRETIENS DE L’ADENDUR – Entretien avec Line TOUZEAU

LES ENTRETIENS DU BULLETIN

Entretien avec Line TOUZEAU-MOUFLARD

Maître de conférences en droit public à la faculté de droit et de science politique de Reims

Par Chloé DERAEDT et Mariana KATO

Maître de conférences en droit public, Line TOUZEAU-MOUFLARD nous a fait l’honneur de nous accorder un entretien le 14 octobre 2021 au cours duquel elle a répondu à nos questions sur son parcours universitaire et professionnel ainsi que les défis qui se présentent aujourd’hui à l’Université.

ADENDUR – Pourriez-vous nous présenter votre parcours universitaire ?

Mon parcours universitaire a commencé en classe préparatoire, en Hypokhâgne. Ensuite, je me suis inscrite dans ce qui s’appelait à l’époque un bi-DEUG droit allemand, à l’Université de Cergy Pontoise. Je l’ai suivi pendant trois ans, jusqu’à l’équivalent de la licence, ce qui m’a permis d’obtenir une licence en droit et un diplôme d’université de juriste bilingue. Par la suite, j’ai eu parcours un peu atypique du fait que je me suis beaucoup interrogée sur ce que j’allais faire avec mes études de droit. La seule chose que je voulais faire était professeure de droit. Faute d’attache familiale dans le monde universitaire, entre autres, j’ai pensé qu’il m’était inaccessible. J’ai donc décidé de me tourner vers un autre centre d’intérêt, l’architecture, et je me suis inscrite en école d’architecture. J’ai pris cette décision au cours de ma 3ème année de droit, mais j’ai tout de même fait le choix d’obtenir avant une maîtrise en droit (équivalent du Master 1). En effet, il m’était important d’être en mesure d’intégrer un DEA ou un DESS (équivalent du Master 2) plus facilement dans l’éventualité où je changerais d’avis et souhaiterais poursuivre une carrière dans le milieu juridique.

Et effectivement, au bout de deux années en architecture, pour des raisons personnelles, j’ai décidé de reprendre un 3ème cycle en droit pour pouvoir intégrer le monde professionnel plus rapidement. J’ai donc intégré un DESS de droit du patrimoine culturel avec l’idée de poursuivre une carrière comme attachée dans une ambassade ou dans un consulat dans le secteur culturel.

Au cours de mon DESS, j’ai été mieux informée sur la carrière universitaire et j’ai décidé de faire une thèse. Je me suis donc inscrite en première année doctorat en même temps que j’achevais ma licence d’architecture. Au cours de ma deuxième année de thèse, j’ai choisi de m’inscrire en parallèle dans un Master 2 recherche, pour compléter mon parcours en DESS. Concernant le financement de la thèse, il y en avait extrêmement peu. Je m’étais donc inscrite sans financement et j’ai travaillé en parallèle pendant toute la thèse, jusqu’à ma grossesse. Ensuite, j’ai obtenu un poste d’ATER (attachée temporaire d’enseignement et de recherche) à l’Université de Reims pour les derniers mois de thèse et l’année qui a suivi ma soutenance.

ADENDUR – Avez-vous déjà regretté d’avoir choisi le droit par rapport à l’architecture ?

Je n’ai pas regretté et ce pour deux raisons. La première est que j’étais un peu déçue de la manière dont les choses étaient enseignées en architecture et j’ai pris conscience que, si je voulais devenir une bonne architecte, j’avais encore au moins 15 ans d’apprentissage devant moi. N’ayant pas débuté mes études en architecture à 18 ans, j’étais à une période de la vie où j’avais besoin et envie de construire ma vie. Ce choix faisait donc partie de l’équilibre que je recherchais. La deuxième raison est que j’ai fait une thèse en partie sur l’architecture. J’ai donc toujours gardé un lien avec le patrimoine et l’architecture.

Par ailleurs, j’ai eu la prudence de ne pas abandonner les études engagées en cours de route : j’ai fini ma maîtrise en droit avant de m’inscrire en école d’architecture, puis je suis allée au bout de la licence d’architecture quand je me suis inscrite en DESS. Je n’ai donc pas l’impression d’avoir perdu mon temps.

ADENDUR – Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur le patrimoine culturel ?

Quand j’ai pensé à quitter à l’architecture pour revenir à mes études de droit, je me suis demandée ce que je voulais vraiment faire. Ce que j’aimais c’était l’architecture, la culture. Il fallait donc qu’il me soit possible de lier le droit à ces domaines. J’ai ainsi cherché, et trouvé, un master sur le patrimoine culturel.

ADENDUR – Comment avez-vous choisi votre sujet de thèse et comment décrivez-vous votre relation avec le sujet tout au long de la thèse ?

Mon sujet de thèse est en lien avec mon mémoire de DESS. C’est une idée qui m’a été donnée pendant les enseignements et qui a été validée par mon directeur. J’ai toujours aimé mon sujet, j’ai adoré écrire ma thèse, et cela compte beaucoup. Mais au vu du parcours pour atteindre une carrière d’enseignant-chercheur, si cela était à refaire aujourd’hui, je choisirais un sujet plus classique.

ADENDUR – Quels sont les premiers souvenirs qui vous viennent à l’esprit quand vous repensez à votre thèse ?

Les tous premiers souvenirs, strictement liés à la thèse, ce sont les échanges avec les autres doctorants au sein du laboratoire et le soutien que j’ai pu y trouver. Concernant les souvenirs plus largement « autour de la thèse », c’est le questionnement sur la situation du doctorant : les difficultés de compréhension de l’entourage, l’incertitude quant à la situation financière quand on décide de faire une thèse, l’ambigüité entre le statut d’étudiant et la qualité de salarié par ailleurs, …  

ADENDUR – Avant de commencer votre carrière de maître de conférences, vous étiez directrice des affaires générales dans un centre hospitalier. Pourquoi avez-vous choisi la carrière d’enseignent-chercheur ? Quels sont les aspects de cette carrière qui ont motivé votre choix ?

J’ai exercé ce métier pendant que j’attendais les résultats de la qualification. Le jour où j’ai eu la qualification et où j’ai trouvé un poste de Maître de conférences, j’ai beaucoup hésité. J’adorais mon travail, j’avais un bon salaire et un poste de direction qui était très valorisant. Mais j’ai toujours voulu être enseignant-chercheur, j’ai donc choisi la carrière universitaire. C’était un choix du cœur. J’adore enseigner, transmettre les connaissances, j’adore retrouver les étudiants en amphithéâtre. Je trouve aussi génial d’avoir un deuxième métier qui la recherche. Même si cela présente parfois des aspects difficiles, si c’est angoissant, fatiguant, l’aspect recherche, découverte est très intéressant. Le cumul de plusieurs métiers est passionnant. Il ne faut pas non plus négliger la liberté et l’autonomie, quand bien même l’enseignant-chercheur a plus tendance à travailler jour et nuit, y compris le week-end. 

ADENDUR – Quelles sont les difficultés rencontrées pendant votre parcours ?

La principale difficulté était d’intégrer la carrière universitaire en ayant un sujet de thèse peu classique. Après, il n’y avait évidemment pas que le sujet de thèse, il y avait aussi les défauts de la thèse. Mais je crois que le sujet choisi était le plus grand obstacle.

ADENDUR – Avez-vous ressenti des difficultés particulières liées au fait d’être une femme dans ce domaine ?

Il est difficile de répondre à cette question, car c’est un peu diffus. J’ai eu un parcours un peu atypique, il est donc délicat de savoir s’il a été influencé par le fait que je sois une femme ou par mon dossier en tant que tel. Concernant la rémunération, des grilles imposent un traitement identique, ce qui est un point positif. En termes de responsabilité, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui résulte du fait de ses compétences et de la promotion donnée pour viser la parité. Il y a parfois un doute. Peut-être qu’avec un parcours plus classique, on se pose moins la question. Enfin, il faut souligner que les contraintes qui pèsent sur les femmes ne sont pas nécessairement prises en considération. Il suffit de penser aux difficultés pour prendre un congé maternité, ou les questions que l’on se pose sur le moment idéal de la grossesse.

ADENDUR – Selon vous, quels sont les défis de la faculté de droit aujourd’hui ?

C’est très compliqué et je suis très pessimiste. Le défi serait de réussir à lutter contre les atteintes croissantes au service public de l’enseignement et de la recherche. Nous avons toujours plus d’étudiants, toujours moins de collègues, toujours plus de charges administratives. Cette situation amoindrit nécessairement la performance dans les enseignements et dans la recherche. Le principal défi est de réussir à lutter contre ces atteintes pour continuer d’être en mesure d’offrir à nos étudiants la possibilité de se former et par la suite d’avoir une carrière. Ce que l’avenir nous laisse entrevoir n’est pas très positif, ni pour la carrière de collègues, ni pour les étudiants qui vont être reçus dans des conditions qui se dégradent de jour en jour. En même temps, je ne sais pas comment lutter contre cette tendance : à chaque fois qu’il y a une nouvelle loi, on s’y oppose, mais cela n’a pas vraiment d’impact. Le défi semble être de se battre pour, au minimum, maintenir les conditions de travail des enseignants et, par la même, les conditions d’apprentissage des étudiants.

ADENDUR – Faut-il adapter la façon dont le droit est enseigné dans les Universités ?

Je n’en suis pas sûre ; ce n’est en tout cas probablement pas la priorité. L’adaptation indispensable à laquelle je pense actuellement, c’est une réduction du nombre d’étudiants par groupe de travaux dirigés. Il n’est pas possible d’enseigner correctement au sein de groupes de TD de plus de 40 étudiants, par exemple. Concernant la dématérialisation des enseignements, nous avons appris pendant la période Covid que l’enseignement à distance n’est pas vraiment une solution. La transmission se fait entre deux personnes, par des échanges, par une certaine proximité.

ADENDUR – Y-a-t-il une personne qui a particulièrement marqué votre parcours et/ou votre développement personnel en tant que juriste ?

Ce qui m’a fait vraiment aimer le droit c’était le cours de droit administratif général suivi en deuxième année. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir été accompagnée étroitement par des enseignants attentifs et généreux, qui m’ont aidée pour la construction de ma carrière, par exemple pour la rédaction de mon premier article.

ADENDUR – Pour terminer, quel conseil donneriez-vous à ceux qui envisagent une carrière d’enseignant-chercheur ?

Il ne faut pas se lancer sans préparation, sans connaître les contraintes et les exigences requises, pour mettre toutes les chances de son côté. Les choix du sujet et du directeur ou de la directrice de thèse sont fondamentaux. Et puis il est indispensable d’avoir en tête une autre perspective tout aussi intéressante, non pas un « plan B » mais un autre « plan A » qui permettra d’avoir une carrière aussi riche que celle d’enseignant-chercheur, au cas où cette dernière ne se concrétiserait pas.