Où en est-on de l’interdiction de la chasse à la glu en France ?

Par Pierre-Emmanuel RODRIGUEZ

Doctorant contractuel en droit public à l’URCA – CRDT

Longtemps condamnée par les associations françaises de protection animale, la chasse à la glu ne ferait-elle pas face à sa prohibition imminente ?

La chasse à la glu est une technique de chasse traditionnelle dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse. Elle consiste en la fixation en hauteur ou à la cime des arbres de tiges enduites de glu afin de piéger certaines espèces d’oiseaux sauvages. Une fois capturés, les spécimens sont placés dans une cage. Ils sont communément désignés comme des appelants car leur chant permet d’attirer les oiseaux qui seront abattus. Il faut cependant respecter les quotas fixés par le ministère en charge de l’environnement.

Les chasseurs ont l’obligation de demeurer à proximité des tiges enduites de glu pour relâcher tout oiseau appartenant à une espèce dont la chasse n’est pas autorisée. Le cas échéant, ils doivent libérer l’oiseau de la glu qui l’entrave à l’aide de dissolvant. Dans le même ordre d’idées, tout individu pratiquant la chasse à la glu doit posséder un permis de chasse et tenir à jour des registres répertoriant le nombre de spécimens attrapés et abattus. À la fin de la campagne de chasse, les oiseaux appelants doivent systématiquement être relâchés et ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’un commerce.

Les organismes de protection des animaux, dont la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) et l’organisation non-gouvernementale « One Voice », revendiquent depuis de nombreuses années l’interdiction de la chasse à la glu. Il est reproché à cette pratique de ne pas être suffisamment sélective dans la mesure où tout oiseau, y compris ceux appartenant à des espèces protégées, peut potentiellement être piégé. La critique tient également à ce que les oiseaux sauvages sont exposés à des risques de lésions des pattes et des ailes, voire d’infections liées au contact avec les produits chimiques utilisés. Ce faisant, la réglementation française ne serait pas conforme au droit de l’Union européenne.

La Directive « Oiseaux » (2009/147/CE) interdit en effet la capture intentionnelle des oiseaux sauvages. Certaines dérogations sont toutefois prévues. Le 29 novembre 2019, le Conseil d’État a posé une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne afin d’obtenir des précisions sur l’interprétation de la directive. Il s’agissait de savoir si le caractère traditionnel de la chasse à la glu en faisait une exception au sens où l’entend la directive. La Cour est restée silencieuse jusqu’à ce jour.

Le débat a été relancé le 2 juillet 2020 par la Commission européenne. Elle a adressé un avis motivé à la France qui n’a pas mis en conformité son droit à la directive depuis une mise en demeure du mois de juillet 2019. Cette procédure pourrait aboutir à la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne. La réaction du gouvernement français ne s’est pas fait attendre : par une série d’arrêtés en date du 27 août 2020, la ministre de la Transition écologique a étendu l’interdiction de la chasse à la glu à de nombreuses espèces d’oiseaux pour l’année 2020-2021.

Ces arrêtés ont été contestés par la Fédération nationale des chasseurs par le biais de référés. Le 11 septembre 2020, le Conseil d’État a confirmé l’interdiction de la chasse à la glu de la tourterelle des bois. Le 22 septembre 2020, le Conseil d’État a fait de même pour deux autres espèces endémiques : les grives et les merles noirs. Dans l’attente d’une réponse de la Cour de Justice de l’Union européenne à leur question préjudicielle, les juges du Palais-Royal se montrent prudents afin de ne pas exposer la France à des sanctions pécuniaires.

Cette évolution de la jurisprudence relative à la chasse à la glu se place dans le sillage d’une lente mais progressive reconnaissance de la cause animale par le droit français. Elle fut entamée par l’article 515-14 du code civil faisant des animaux des « êtres vivants doués de sensibilité », et complétée le 17 février 2015 par la publication d’un code juridique de l’animal. Ainsi, le droit français se dirige vers une meilleure protection des animaux. À l’heure où la chasse à la glu bat de l’aile, où la protection des oiseaux sauvages prend son envol, le droit français semble ne plus pouvoir faire bien longtemps encore le pied de grue à une éventuelle réponse de la Cour de Justice de l’Union européenne.