Lutte contre le(s) « séparatisme(s) » : Et si la solution dépassait l’adoption d’un projet de loi ?

Par Alioune W. NGOM

Doctorant en droit public à l’URCA – CRDT

 Dans son discours aux Mureaux du 2 octobre 2020, le Président de la République annonçait la soumission prochaine au Parlement d’un projet de loi sur le(s) « séparatisme(s) ». Ce texte aurait, entre autres objectifs, de donner au gouvernement les moyens d’agir pour faire face à l’islamisme radical.

Certes, la loi est l’expression de la volonté générale. Elle est donc le sceau de la légitimité de l’action étatique. Ainsi, rien n’est plus démocratique et normal que de légiférer pour faire face à cette menace sérieuse. Mais, il est à craindre que ce projet ne soit qu’un texte accentuant l’inflation législative.

L’idée très répandue selon laquelle une nouvelle loi est toujours nécessaire pour faire face aux nouveaux défis de notre société et de notre temps présente des limites quant à la pertinence et l’efficacité. Il en est ainsi lorsqu’un arsenal juridique existe déjà et dont sa seule adaptation aux besoins changeants de la société permettrait de faire face à de tels défis. Ce projet de loi annoncé semble s’inscrire dans cette lancée qui ne fait que favoriser une surenchère législative. Par ailleurs, les différents changements de dénominations du projet envisagé expriment son imprécision. D’un projet de loi censé lutter contre le « communautarisme » ou encore le(s) « séparatisme(s) », on est passé à un projet de loi « confortant le respect des principes de la République », particulièrement axé sur la laïcité. La crainte d’une censure du juge administratif ou constitutionnel pourrait probablement justifier ce changement terminologique. On se rappelle du projet de loi contre le voile intégral qui a fini par donner naissance à la « loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public »[1] à la suite de l’avis défavorable du Conseil d’État[2]. En outre, partir de l’aspect sécuritaire et/ou « communautariste » pour basculer vers la laïcité est une preuve de la complexité de la question, mais aussi et surtout, du flou qui caractérise le texte envisagé. Le principe de la laïcité a bon dos et s’il était son propre plaideur, il aurait remporté plusieurs procès en diffamation. Il ne fait pas de doute qu’il faudra aider la laïcité à se départir de ses fantômes controversés et de l’exagération de sa portée « absolutiste »[3]. Cependant, son cadre juridique est clair et son adaptation suffirait à l’appliquer pleinement.

Ce qui est en cause est un problème à l’image de l’Hydre de Lerne. Il dépasse le seul cadre de la laïcité. La question est aussi idéologique, sociale, sécuritaire, voire « civilisationnelle ». Lorsque dans un État donné, un citoyen (ou parfois un étranger) en arrive à avoir ne serait-ce que l’idée de se départir du ciment national, de s’attaquer à ses institutions, valeurs et concitoyens, c’est que le mal est plus profond que la question laïque. En outre, un ensemble de moyens juridiques dont certains résultent de l’état d’urgence[4] semblent déjà doter au gouvernement des moyens pour répondre à une partie de ces questions, notamment sur l’aspect sécuritaire. Pour le reste, il s’agit surtout de réaffirmer la République dans toutes ses dimensions. Cela suppose, non seulement, de ne pas fléchir dans ses principes et valeurs, mais, en particulier, de les appliquer de façon réelle et effective pour TOUS les citoyens. Car, il y a des principes qui sont extrêmement sérieux et importants pour une République qu’ils ne peuvent faire l’objet de concessions, de détournements ou d’applications différenciées. Il sera également nécessaire de changer tout un arsenal de narratifs, de mythes et cadres épistémologiques qui ne permettent plus de lire la société telle qu’elle est aujourd’hui.  Recourir à la loi pour faire face à un problème indûment rattaché à la laïcité nous semble donc inefficace. Il suffit d’appliquer pleinement le cadre juridique existant tout en prenant en compte des multiples facettes du problème en cause. C’est en ce moment seulement que les textes existants ou en vue permettraient de gagner cette lutte pour une « reconquête républicaine »[5].

[1] Loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010, JORF n°0237 du 12 octobre 2010.

[2] Voir avis du CE du 30 mars 2010 sur les possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral.

[3] Comme le remarque Allain Pellet à propos de l’arrêt du Lotus de 1927. Voir Allain Pellet, « Lotus que de sottises on profère en ton nom ! », in Mélanges en l’honneur de Jean Pierre Puissochet, Pédone, 2008, p.215-230.

[4] Voir Stéphanie Hennette Vauchez, Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence, Institut Universitaire Varenne, 2018.

[5] Allusion au dispositif des Quartiers de Reconquête Républicaine mis en place depuis 2018.